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Александр Иванович Герцен

J’ignore si Barthélemy a réellement tenu un pareil langage, et à quelle époque il l’a tenu. S’il s’agit de mes trois premières visites, il disait vrai. Je connaissais trop bien cet homme pour essayer de lui parler de la religion avant d’avoir gagné sa confiance; il me serait arrivé ce qui était arrivé à d’autres prêtres catholiques qui l’ont visité avant moi. Il aurait refusé de me voir plus longtemps; mais dès ma quatrième visite la religion a été le sujet de nos continuels entretiens. Je n’en voudrais pour preuve que cette conversation si animée, qui a eu lieu entre nous dans la soirée de dimanche sur l’éternité des peines, l’article de notre, ou plutôt de sa religion, qui lui faisait le plus de peine. Il refusait, avec Voltaire, de croire, que –

Ce Dieu qui sur nos jours versa tant de bienfaits,

Quand ces jours sont finis, nous tourmente à jamais.

Je pourrais citer encore les paroles qu’il m’adressait un quart d’heure avant de monter à l’échafaud; mais, comme ces paroles n’auraient d’autre garantie que mon propre témoignage, j’aime mieux citer la lettre suivante, écrite par lui le jour même de l’exécution, à six heures du matin, au moment où, selon le récit de votre correspondant, il dormait d’un profond sommeil:

„Cher Monsieur l’Abbé, – Avant de cesser de battre, mon cœur éprouve le besoin de vous témoigner toute sa gratitude pour les soins affectueux que vous m’avez si évangeliquement prodigués pendant mes derniers jours. Si ma conversion avait été possible, elle aurait été faite par vous; je vous l’ai dit: je ne crois à rien! Croyez bien que mon incrédulité n’est point le résultat d’une résistance orgueilleuse; j’ai sincèrement fait mon possible, aidé de vos bons conseils; malheureusement, la foi ne m’est pas venue, et le moment est proche… Dans deux heures je connaîtrai le secret de la mort. Si je me suis trompé, et si l’avenir qui m’attend vous donne raison, malgré ce jugement des hommes, je ne redoute pas de paraître devant notre Dieu, qui, dans sa miséricorde infinie, voudra bien me pardonner mes péchés en ce monde.

Oui, je voudrais pouvoir partager vos croyances, car je comprends que ceux qui se réfugient dans la foi religieuse trouvent, au moment de mourir, des forces dans l’espérance d’une autre vie, tandis que moi, qui ne crois qu’à l’anéantissement éternel, – je suis obligé de puiser à ce moment suprême mes forces dans les raisonnements, peut-être faux, de la philosophie et dans le courage humain.

Encore une fois merci! et adieu!

E. Barthélemy.

Newgate, 22 janvier, 1855, 6 h. du matin.

P. S. Je vous prie d’être auprès de M. Clifford l’interprête de ma gratitude».

J’ajouterai à cette lettre que le pauvre Barthélemy se trompait lui-même, ou plutôt cherchait à me tromper, par quelques phrases, dernières concessions faites à l’orgueil humain. Ces phrases auraient disparu, je n’en doute pas, si la lettre eût été écrite une heure plus tard. Non, Barthélemy n’est pas mort incrédule; il m’a chargé, au moment de mourir, de déclarer qu’il pardonnait à tous ses ennemis, et m’a prié de me tenir auprès de lui jusqu’au moment où il aurait cessé de vivre. Si je me suis tenu à une certaine distance, – si je me suis arrêté sur la dernière marche de l’échafaud, l’autorité en connait la cause. Du reste, j’ai rempli religieusement les dernières volontés de mon malheureux compatriote. Il m’a dit en me quittant, avec un accent que je n’oublierai de ma vie – „Priez, priez, priez!” J’ai prié avec effusion de cœur, et j’espère que celui a déclaré qu’il était né catholique, et qu’il voulait être catholique, aura eu à son moment suprême un de ces repenties ineffables qui purifient une âme, et lui ouvrent les portes de l’éternelle vie.