Читать «Том 11. Былое и думы. Часть 6-8» онлайн - страница 33

Александр Иванович Герцен

Cette lettre est déjà bien assez longue. Je voulais seulement préciser avec vous le point débattu. Ce qu’il faudrait maintenant entre nous, je le sens: ce serait une conversation dans laquelle nous avancerions plus en une heure que par milliers de lettres. Je n’abandonne pas cet espoir, et ce jour sera le bienvenu pour moi. Avec un homme de révolution, de travail, de science et d’audace je crois toujours pouvoir m’entendre.

Quant aux sourds (ou muets) de la tradition révolutionnaire de 93, j’ai grand’peur que vous n’en fassiez jamais des socialistes universels et des hommes de Liberté. Encore moins des partisans de la Possession, du Droit au travail, de l’Echange et du Contrat. C’est si séduisant de rêver une place de commissaire aux armées ou à la police, ou encore une sinécure de représentant du Peuple avec une belle écharpe rouge autour des reins. Comme disait Rabelais, beaux floquarts, beaux rubans, gentil pourpoint, galantes braguettes, etc, etc. La plupart de nos révolutionnaires en sont là!

Les hommes ne sont guère plus sages que les enfants, mais beaucoup plus hypocrites. Ils portent des faux cols et des décorations et se croient illustres. Les enfants jouent plus sérieusement aux soldats que les grands monarques et les énormes tribuns que les peuples admirent!

Vous voudrez bien me pardonner de vous avoir écrit sans avoir l’honneur de vous connaître personnellement. Vous m’excuserez surtout de m’être permis de vous donner sur vos ouvrages une opinion qui n’a d’autre valeur que la sincérité. J’estime, d’après mes propres impressions, que c’est le moyen le plus efficace pour reconnaître un don, qui vous a fait plaisir. D’ailleurs notre commun exil et nos aspirations semblables me semblent devoir nous épargner à tous deux les vaines formules de politesse banale.

Je termine en vous résumant mon opinion par ces deux mots: la Force et la Destruction de demain – par le tzar, la Pensée et l’ordre d’après-demain par les socialistes universels, les Slaves comme les Germano-Latins.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée et de mes sympathies.

Ernest Cœurderoy.

J’espère que vous publierez en volume vos lettres à Linton Esq. que le journal L’Homme a données à ses lecteurs. Pourriez-vous me dire s’il existe des traductions françaises des poésies de Pouchkine, de Lermontoff et surtout de Koltzoff? Ce que vous en dites me fait désirer infiniment de les lire.

La personne qui vous remettra cette lettre est mon ami, L. Charre, proscrit comme nous, à qui j’ai dédié Mes jours d’Exil.