Читать «Чёрная речка. До и после (К истории дуэли Пушкина)» онлайн - страница 73

Серена Витале

Mon cher ami, j'ai deux lettres à toi et je n'ai pas encore répondu ni à l'une ni à l'autre, mais ce n'est ni négligence ni paresse. J'ai fait des armes dernièrement chez Gruners, et j'ai reçu un coup de sabre sur la main qui m'a foulé le pouce et il n'y a que quelques jours que suis en état de m'en servir. J'ai du reste chargé l'imbécile de Jean-vert de te l'écrire, je ne sais s'il l'a fait mais maintenant que je vais tout à fait bien je vais tâcher de réparer le temps perdu.

Je vais commencer ma lettre par répondre à ce qu'il y a de plus intéressant dans la tienne. Comment le Roi te refuserait la seule grâce que tu lui as encore demandée! Cela n'est pas possible et du reste je ne crois pas qu'il puisse s'opposer formellement, c'est une simple démarche de sa part peut-être pour te faire voir qu'il lui est désagréable de te voir disposer de ton nom vis à vis [d'] un étranger; mais je suis bien sûr que bientôt tu recevras une lettre qui nous rendra heureux tous les deux. Je dis tous les deux, car tu me parles dans ta lettre comme si tu me supposais heureux de ce qu'il arrivait; tu n'as pas réfléchi une minute en écrivant ces lignes, car alors tu te serais rappelé certainement que ce qui te contrarie ne peut pas me faire plaisir, et là où tu trouves le bonheur, j'en trouve aussi; du reste c'est une idée à laquelle je me suis tout à fait fait de porter ton nom et je serais au désespoir d'être obligé d'y renoncer. Je crois [que] ce qu'il sera plus difficile d'obtenir, c'est une faveur de la part de l'Empereur, parce qu'en fait je n'ai rien fait pour la mériter. Une croix, il ne peut pas m'en donner car tout le monde crierait: un grade! Mon tour doit venir un de ces jours et s'il n'arrive rien de nouveau, tu me retrouveras probablement lieutenant car je suis le 2-me cornette et il y a trois vacances au régiment; je crois même qu'il ne serait pas politique de tourmenter en ma faveur, car la mienne repose seulement, je crois, sur ce que je n'ai jamais rien demandé, chose à laquelle ils ne sont pas accoutumés de la part des étrangers à leur service. Et autant que je puis juger par moi-même, la manière d'être de l'Empereur à mon égard vaut beaucoup mieux pour le moment que le peu qu'il pourrait m'accorder; au dernier bal d'Aniskoff Sa Majesté a été excessivement affable et a causé très longtemps avec moi. Pendant la conversation j'ai laissé tomber mon plumet, lorsque'il me dit en riant: «Voulez-vous bien vite ramasser ces couleurs car je ne vous permets de les quitter que pour prendre les vôtres», je lui répondis que j'acceptais d'avance cet arrangement. L'E[mpereur]: «Mais c'est aussi bien comme cela que je l'entends, mais comme il n'est pas probable que vous pourrez reprendre les autres de sitôt je vous conseille de vous en tenir à celles-ci»; sur quoi je lui ai répondu que les siennes étaient beaucoup trop bonnes et que je m'en trouvais beaucoup trop bien pour être si pressé de les quitter; alors il m'a fait une quantité de salutations, comme tu penses bien, en riant, et m'a dit que j'étais beaucoup trop aimable et trop poli, et tout ceci s'est passé au grand désespoir des assistants qui m'auraient mangé si les yeux pouvaient mordre.