Читать «Чёрная речка. До и после (К истории дуэли Пушкина)» онлайн - страница 103

Серена Витале

Combien tu te donnes de peine pour moi, comme tu dois te faire du mauvais sang. Je t'en demande pardon d'avance et te remercie du fond de mon cœur de toutes les courses que tu fais pour moi et qui doivent cependant beaucoup te fatiguer; car autre chose est de courir pour son plaisir et pour des affaires. J'ai bien peur, malgré toutes les belles protestations qui te sont faites de tous les côtés, que le jour où il faudra agir tu ne trouves le monde beaucoup moins empressé à te servir; car il ne serait pas impossible que ta famille de son côté cherche à déjouer ton projet, d'autant plus qu'il la blesse dans ses intérêts les plus chers, c'est-à-dire ceux d'argent.

Je voulais t'écrire sans te parler d'elle, mais je t'avoue franchement que ma lettre n'avance pas sans cela, et puis je suis cependant obligé de te rendre compte de ma conduite depuis ma dernière lettre; comme je t'ai promis, j'ai tenu, je me suis abstenu de la voir et de la rencontrer; depuis plus de 3 semaines, je lui ai parlé 4 fois et de choses tout à fait indifférentes et Dieu m'est témoin que je pourrais parler 10 heures de suite si je voulais seulement lui dire la moitié de ce que j'éprouve à sa vue; je t'avoue franchement que le sacrifice que je te fais est immense. Il faut que je t'aime comme je t'aime pour tenir ainsi ma parole; et je ne me serais jamais cru le courage d'habiter les mêmes lieux qu'un être aimé comme j'aime celle-là sans aller chez elle quand j'en ai tous les moyens. Car mon très cher ami, je ne puis te cacher que j'en suis toujours fou; mais Dieu lui-même est venu à mon secours: elle a perdu sa belle-mère hier de sorte qu'elle sera obligée de garder sa chambre au moins pendant un mois de temps et l'impossibilité de la voir fera probablement que je n'aurais plus ce terrible combat à me livrer: faut-il aller ou ne pas aller, qui recommençait toutes les heures quand j'étais seul. Aussi je t'avoue que dans tous ces derniers temps, j'ai crainte de rester seul à la maison et que j'ai été continuellement en l'air pour me distraire; aussi si tu pouvais t'imaginer comment et avec quelle impatience j'attends ton retour, et loin de le craindre, je compte les jours où j'aurai quelqu'un près de moi que je pourrai aimer; car j'ai le cœur tellement gros et si besoin d'aimer et de ne pas être seul au milieu du monde comme dans ce moment que 6 semaines d'attente me compteront des années.

Je crois, mais je ne suis pas bien sûr, que je t'ai mandé dans ma dernière lettre qu'il fallait s'adresser à la légation Russe à Dresde, que c'est là que Creptovitch m'a dit que l'on trouverait le paquet. Je te prierais encore si cela n'est pas trop tard de m'apporter aussi des mouchoirs, j'en ai un besoin urgent et ici je les paye très cher et les ai très mauvais.

Je ne t'écrirai pas plus long aujourd'hui car je vais au Palais. Nous sommes aux fêtes de Pâques et je ne crois pas que les fêtes me fourniront des épisodes qui valent la peine de retarder l'envoi de celle-ci, d'autant plus que je te prierais de m'écrire le plus tôt possible pour me faire savoir où il faudra adresser une lettre, car à La Haye c'est impossible, d'après mes calculs tu partiras à peu près quelques jours apres avoir reçu celle-ci.