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Федор Иванович Тютчев

Храни тебя Господь.

Горчакову А. М., 28 июля 1863

13. А. М. ГОРЧАКОВУ 28 июля 1863 г. Москва

Moscou. Dimanche. 28 juillet

Mon Prince,

J’ai reçu votre chère lettre juste au moment où j’allai dîner chez Katkoff. Je vous laisse à juger de la satisfaction intime que j’ai eue à la lui lire et de celle non moins vive avec laquelle cette lecture a été accueillie. L’excellent homme a été pénétré des bonnes et gracieuses paroles que vous lui adressez, de ces paroles dont vous avez le secret…

Votre dernière dépêche à Budberg est venue ici à point nommé pour faire tomber à plat les vagues appréhensions que la presse étrangère aurait aimé à accréditer sur de prétendues défaillances et des concessions éventuelles de notre part.

On a retrouvé dans cette dépêche le même accent et la même inspiration que dans les précédentes, et on vous a su gré, mon Prince, de vous être hâté de la publier. Cette publication, assurément, ne facilitera pas à Mr Drouin de l’Huys la rédaction de sa dépêche. — En un mot, votre position ici est grande et belle. Le Bon Dieu vous devait bien cela… On sent que vous êtes à l’unisson du pays, et que ce qui vous inspire et vous soutient envers et contre tous, c’est la conviction profonde que le pays dans les circonstances données est prêt à tous les sacrifices, à tous, sans exception, sauf une seule: celui de son honneur. Je sais que cette phrase a été dite et répétée vingt fois. Mais ce qui caractérise précisément la situation, c’est que cette fois cette phrase est une réalité.

Aussi bien qu’on ne se dissimule guères ici la gravité de la question extérieure, — grâce à vous, mon Prince, ce n’est pas elle qui préoccupe le plus les esprits… La grande préoccupation est ailleurs. Elle est à Varsovie… Je ne saurai vous rendre le sentiment de dégoût, de plus en plus exasperé, qu’inspire ici le spectacle de tout ce qui s’y passe, et cette impression est constamment ravivée par des informations très précises…La retraite du Marquis avait été vue avec plaisir, mais c’est qu’on s’attendait à la voir suivie d’une autre, encore plus impatiemment désirée. Car, à tort ou à raison, on est convaincu ici que la présence du Grand-Duc à Varsovie y rendra impossible l’action de toute autorité sérieuse et efficace. On le croit trop identifié à l’absurde système que nous avons vu à l’œuvre et dont nous recueillons les fruits pour qu’il fût permis d’espérer que, sans se compromettre encore davantage, il puisse s’associer à un système tout opposé, celui de l’unité absolue dans le pouvoir, en un mot de la dictature militaire. Or, on ne croit pas ici qu’il y ait dans le Grand-Duc l’étoffe d’un dictateur… Eh bien, mon Prince, ce résultat si desiré, si évidemment nécessaire — la cessation la plus prompte d’un régime qui est un scandale et un danger — eh bien, ce service signalé, c’est encore de vous, mon Prince, de votre légitime influence que le pays espère l’obtenir. Il en est temps, il en est plus que temps.