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Лев Толстой

Княжна подумала, замислено усміхнулася (при цьому обличчя її, освітлене променистими очима, зовсім змінилося) і, раптом підвівшись, важко ступаючи, перейшла до стола. Вона вийняла папір, і рука її швидко почала ходити по ньому. Так писала вона у відповідь:

«Chère et excellente amie. Votre lettre du 13 m'a causé une grande joie. Vous m'aimez donc toujours, ma poétique Julie. L'absence, dont vous dites tant de mal, n'a donc pas eu son influencé habituelle sur vous. Vous vous plaignez de l'absence — que devrai-je dire moi si j'osais me plaindre, privée de tous ceux qui me sont chers? Ah! si nous n'avions pas la réligion pour nous consoler, la vie serait bien triste. Pourquoi me supposez-vous un regard sévère, quand vous me parlez de votre affection pour le jeune homme? Sous ce rapport Je ne suis rigide que pour moi. Je comprends ces sentiments chez les autres et si je ne puis approuver ne les ayant jamais ressentis, je ne les condamne pas. Il me paraît seulement que l'amour chrétien, l'amour du prochain, l'amour pour ses ennemis est plus méritoire, plus doux et plus beau, que ne le sont les sentiments que peuvent inspirer les beaux yeux d'un jeune homme à une jeune fille poétique et aimante comme vous.

La nouvelle de la mort du comte Безухов nous est parvenue avant votre lettre, et mon'père en a été très affecté. Il dit que c'était l'avant-dernier représentant du grand siècle, et qu'à présent c'est son tour; mais qu'il fera son possible pour que son tour vienne le plus tard possible. Que dieu nous garde de ce terrible malheur! Je ne puis partager votre opinion sur Pierre que j'ai connu enfant. Il me paraissait toujours avoir un coeur excellent, et c'est la qualité que j'estime le plus dans les gens. Quant à son héritage et au rôle qu'y a joué le prince Basile, c'est bien triste pour tous les deux. Ah! chère amie, la parole de notre divin sauveur qu'il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume de dieu, cette parole est terriblement vraie; je plains le prince Basile et je regrette encore davantage Pierre. Si jeune et accablé de cette richesse, que de tentations n'aura-t-il pas à subir! Si on me demandait ce que je désirerais le plus au monde, ce serait d'être plus pauvre que le plus pauvre des mendiants. Mille grâces, chère amie, pour l'ouvrage que vous m'envoyez, et qui fait si grande fureur chez vous. Cependant, puisque vous me dites qu'au milieu de plusieurs bonnes choses il y en a d'autres que la faible conception humaine ne peut atteindre, il me paraît assez inutile de s'occuper d'une lecture inintelligible; qui par là même, ne pourrait être d'aucun fruit. Je n'ai jamais pu comprendre la passion qu'ont certaines personnes de s'embrouiller l'entendement, en s'attachant à des livres mystiques, qui n'élèvent que des doutes dans leurs esprltè, exaltent leur Imagination et leur donnent un caractère d'exagération tout-à-fait contraire à la simplicité chrétienne. Lisons les apôtres et l'evanglle. Ne cherchons pas à pénétrer ce que ceux-là renferment de mystérieux, car, comment oserions-nous, misérables pécheurs que nous sommes, prétendre à nous initier dans les secrets terribles et sacrés de la providence, tant que nous portons cette dépouille charnelle, qui élève entre nous et l'eternel un voile impénétrable? Bornons-nous donc à étudier les principes sublimes que notre divin sauveur nous a laissé pour notre conduite Ici-bas; cherchons à nous y conformer et à les suivre, persuadons-nous que moins nous donnons d'essor à notre faible esprit humain et plus il est agréable à dieu, qui rejette toute science ne venant pas de lui; que moins nous cherchons à approfondir ce qu'il lui a plu de dérober à notre connaissance, et plutôt il nous en accordera la découverte par son divin esprit.

Mon père ne m'a pas parlé du prétendant, mais il m'a dit seulement qu'il a reçu une lettre et attendait une visite du prince Basile. Pour ce qui est du projet de mariage qui me regarde, je vous dirai, chère et excellente amie, que le mariage, selon mol, est une institution divine à laquelle 11 faut se conformer. Quelque pénible que cela soit pour moi, si le tout-puissant m'impose jamais les devoirs d'épouse et de mère, Je tâcherai de les remplir aussi fidèlement que je le pourrai, sans m'inquiéter de l'examen de mes sentiments à l'égard de celui qu'il me donnera pour époux. J'ai reçu une lettre de mon frère, qui m'annonce son arrivée à Лисі Гори avec sa femme. Ce sera une joie de courte durée, puisqu'il nous quitte pour prendre part à cette malheureuse guerre, à laquelle nous sommes entraînés dieu sait comment et pourquoi. Non seulement chez vous au centre des affaires et du monde on ne parle que de guerre, mais Ici, au millieu de ces travaux champêtres et de ce calme de la nature que les citadins se représentent ordinairement à la campagne, les bruits de la guerre se font entendre et sentir péniblement. Mon père ne parle que marche et contrejnarche, choses auxquelles je ne comprends rien; et avant-hier en faisant ma promenade habituelle dans la rue du village, Je fus témoin d'une scène déchirante… C'était un convoi des recrues enrôlés ches nous et expédiés pour l'armée… Il fallait voir l'état dans lequel se trouvaient les mères, les femmes, les enfants des hommes qui partaient et entendre les sanglots des uns et des autres! On dirait que l'humanité a oublié les lois de son divin sauveur, qui prêchait l'amour et le pardon des offenses, et qu'elle fait consister son plus grand mérite dans l'art de s'entretuer.

Adieu, chère et bonne amie, que notre divin sauveur et sa très sainte mère vous aient en leur sainte et puissante garde.

Marie».